RDC-Rwanda : L’accord de paix de Washington, diplomatie minérale ou mirage de stabilité ?

Derrière l’annonce d’un mémorandum de paix entre Kinshasa et Kigali, signé sous l’égide des États-Unis, se cache une stratégie géoéconomique où le coltan, la Chine, et l’échec des précédents cessez-le-feu refont surface.
Par Congo Heritage
Le 25 avril 2025, les ministres des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo (Thérèse Kayikwamba Wagner) et du Rwanda (Olivier Nduhungirehe) ont signé un Mémorandum d’Entente (MoU) à Washington, en présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio. Selon les signataires, ce document ouvre la voie à un accord de paix définitif prévu pour le 2 mai. L’annonce a été saluée comme une « nouvelle ère » de coopération régionale, notamment dans le domaine des chaînes de valeur économiques régionales, incluant des investissements américains dans le secteur des ressources naturelles.
Mais cette initiative suscite plus de prudence que d’enthousiasme, tant à Kinshasa qu’au sein de la société civile congolaise ou chez les observateurs internationaux. En cause : l’historique de trahisons, la légitimation implicite de la rébellion du M23, les intérêts économiques américains, et l’ombre persistante de la Chine et de la Russie.
Des minerais au cœur de la stratégie diplomatique américaine
Le MoU signé ne fait aucun mystère de ses ambitions économiques. Il s’agit de « construire de nouvelles chaînes de valeur régionales » autour des minerais stratégiques de la RDC, notamment les 3T : tantale, tungstène et étain, indispensables à la fabrication des technologies modernes.
Mais selon l’économiste congolais Nico Omeonga, cette initiative « a été presque imposée par les États-Unis pour servir leurs propres intérêts ». Il déplore que « rien dans le texte ne précise que ces minerais seront transformés localement », soulignant la dépendance persistante de la RDC à des circuits d’exportation bruts qui l’excluent des bénéfices à haute valeur ajoutée.
Le consultant Ntal Alimasi renchérit : « Le véritable enjeu, c’est l’accès aux minerais, et la volonté des États-Unis de contrer l’hégémonie chinoise dans la région. » Car la Chine domine aujourd’hui largement le secteur minier congolais, notamment via des partenariats d’infrastructures contre minerais. La Russie, quant à elle, gagne du terrain dans plusieurs pays d’Afrique centrale, ce qui pousse Washington à réagir.
Un cessez-le-feu fragile et une légitimation risquée du M23
Malgré l’optimisme affiché, les nombreux cessez-le-feu signés depuis 2021 ont tous été violés, parfois en quelques jours. Le politologue Jakob Kerstan de la Fondation Konrad Adenauer rappelle que « le M23 n’a jamais été contraint de se retirer des zones occupées », un élément central ignoré par les signataires du MoU. Pire : pour Kerstan, cet accord est une reconnaissance implicite du M23 comme acteur politique, ce qui pourrait saper les fondements même de la souveraineté congolaise.
« Ce que vend le gouvernement congolais comme une victoire diplomatique est en réalité l’aveu qu’il ne peut plus reconquérir militairement l’Est du pays« , souligne-t-il avec amertume.
Pour Bob Kabamba, professeur à l’Université de Liège, cette signature est même un « acte de reddition subliminale » : en acceptant de négocier avec un groupe armé soutenu par un État voisin, Kinshasa franchit une ligne rouge aux yeux de nombreux Congolais.
Une paix sur mesure pour les États-Unis et le Rwanda ?
Plusieurs analystes voient dans cette médiation américaine un calibrage stratégique : promouvoir un équilibre profitable pour Washington, consolider une alliance avec Kigali — perçu comme un pivot militaire efficace dans la région — et marginaliser les anciennes puissances coloniales. Le Rwanda, qui a rompu ses relations diplomatiques avec la Belgique en mars 2025, semble en effet beaucoup plus proche aujourd’hui de Washington que de Bruxelles ou Paris.
Mais cette stratégie risque d’accentuer le ressentiment populaire en RDC, où les mémoire des pillages, des massacres et des humiliations imposées par des rébellions soutenues de l’extérieur reste vive. Le président Paul Kagame, accusé par l’ONU de soutenir militairement le M23 avec plus de 4 000 soldats déployés, continue de nier toute implication — une posture jugée hypocrite par la société civile congolaise.
Et le peuple congolais dans tout cela ?
La question fondamentale demeure : où sont les victimes dans ce processus de paix ? Le mémorandum ne prévoit ni mécanisme de justice transitionnelle, ni réparation, ni programme clair de réintégration des déplacés ou de démobilisation des rebelles.
Comme le souligne Roger-Claude Liwanga, juriste à l’Université Emory (Atlanta), « il serait naïf de croire qu’un accord signé à Washington puisse, à lui seul, résoudre un conflit enraciné dans des décennies de traumatismes ethniques, d’inégalités économiques et de gouvernance défaillante ». Il propose un modèle audacieux : un « coltan contre sécurité », calqué sur l’accord historique « pétrole contre protection » entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite dans les années 1940.
Mais même un tel modèle ne saurait remplacer une véritable volonté politique de désarmement, de réforme du secteur sécuritaire, de lutte contre la corruption et de réconciliation entre communautés.
Source : DW — Caution surrounds planned DRC-Rwanda peace agreement
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