Congo–Rwanda : une paix imposée vaut-elle une paix juste ?

Quand Washington célèbre une “victoire diplomatique”, Kinshasa redoute une capitulation géopolitique
Par Congo Heritage
Le 6 mai 2025, dans une tribune intitulée “This diplomatic feat in Africa shouldn’t go unnoticed”, publiée par le Washington Post (source), l’éditorialiste David Ignatius exulte. Il y salue un accord de principe signé à Washington entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda comme une “percée diplomatique” inédite, voire historique. Une sorte de miracle discret, accouché d’une gestation étrange entre républicains, démocrates, émissaires qatariens et le père du gendre de Donald Trump.
Mais vu depuis l’Est du Congo, ce récit est tout sauf un miracle. C’est un désastre annoncé. Une trahison maquillée. Une paix diplomatiquement organisée, mais moralement inacceptable.
Un accord signé dans le silence des victimes
Le Washington Post présente cet accord comme un “win-win”. Mais pour qui ? Pour le peuple congolais dont les terres sont occupées par le M23 — bras armé du Rwanda ? Pour les femmes violées à Kishishe ? Pour les milliers de déplacés vivant sous des bâches à Rutshuru ou Ituri ? Non. Ce “deal” profite d’abord à ceux qui ont versé le sang et à ceux qui veulent en tirer profit.
En effet, ce document diplomatique accorde au Rwanda — agresseur reconnu par l’ONU dans plusieurs rapports — un rôle stratégique dans la transformation et l’exportation de minerais critiques (coltan, cobalt, cuivre)… qu’il ne possède pas.
Ce qui se joue ici dépasse la RDC. C’est une question de principes internationaux :
Peut-on violer la souveraineté d’un pays, l’occuper militairement, soutenir des milices meurtrières… et être récompensé par un partenariat stratégique ?
Si le Rwanda obtient des avantages pour avoir déstabilisé son voisin, quel message envoie-t-on à la Russie, à l’Iran, à la Chine, ou à d’autres puissances régionales aux ambitions hégémoniques ? La cohérence du droit international s’effondre.
En lisant l’article du Washington Post, une chose choque : la légèreté avec laquelle l’auteur évacue les crimes documentés du Rwanda. On y parle d’un “conflit frontalier”, comme s’il s’agissait d’un malentendu entre voisins, et non d’une guerre hybride impliquant des massacres, des viols de masse, des pillages organisés et des incursions militaires transfrontalières depuis plus de vingt ans.
Le Rwanda n’est pas un médiateur : c’est l’agresseur principal. Et pourtant, au lieu d’être sanctionné, il se retrouve au cœur d’un partenariat minier triangulaire avec les États-Unis, via des investissements supposés “verts” pour la chaîne d’approvisionnement des batteries électriques américaines.
🇨🇩 Et la RDC dans tout cela ?
Le président Tshisekedi, selon l’article, aurait même proposé d’échanger un “accès stratégique aux minerais” contre une aide militaire américaine.
“Votre élection a ouvert l’âge d’or de l’Amérique”, aurait-il écrit à Donald Trump — une formule qui frise l’humiliation diplomatique.
Pendant que Kigali impose ses conditions sur le terrain, Kinshasa se retrouve réduit au rôle de fournisseur de matières premières sous supervision étrangère. Aucun mot sur la reconstruction, sur les réparations, sur le démantèlement du M23, sur la mémoire des victimes.
Tout le monde souhaite la fin de la guerre. Mais une paix qui repose sur la récompense de l’agression, sur l’effacement de la mémoire et sur l’exclusion des populations concernées n’est pas une paix durable.
C’est un armistice économique. C’est une capitulation géopolitique.
Et c’est surtout une continuation du néocolonialisme par d’autres moyens : à défaut des chars, ce sont désormais les contrats qui envahissent.
Si cette paix s’impose sans réparations, sans reconnaissance du tort, sans justice — alors demain, tout État africain vulnérable pourra se voir imposer une tutelle économique sous couvert de “coopération stratégique”.
Le Congo n’est pas un laboratoire de diplomatie opportuniste.
C’est une nation souveraine, dont le martyre ne doit pas devenir un modèle.
Ce que Washington considère comme une prouesse diplomatique, les Congolais le vivent comme une normalisation de l’injustice. Ce n’est pas une paix équitable, c’est un contrat commercial maquillé en réconciliation. Ce n’est pas une solution durable, c’est une stratégie d’endiguement géopolitique qui perpétue le déséquilibre de pouvoir entre ceux qui possèdent les armes diplomatiques, et ceux qui ont les cicatrices de la guerre.
La vraie paix ne se décrète pas dans les salons feutrés de Washington, de Doha ou de Genève. Elle naît de la vérité, de la mémoire, et de la réparation. Elle exige qu’on écoute les peuples, qu’on rende justice aux victimes, et qu’on reconnaisse la valeur sacrée de la souveraineté nationale.
Le Congo n’est pas une case stratégique dans un grand jeu de puissances.
C’est une nation martyre, debout, digne, et en droit d’exiger plus que des accords imposés.
Si la paix doit venir, qu’elle soit juste. Qu’elle soit libre. Qu’elle soit congolaise.
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