Déclaration de Washington : paix durable ou feu vert officiel pour la ruée sur les minerais congolais ?

Par Congo Heritage
Sous les lustres du Département d’État, Congolais et Rwandais ont troqué la rhétorique des tranchées contre l’encre diplomatique. Officiellement, la « Déclaration de principes » entend solder trois décennies de guerres à l’Est du Congo. Officieusement, elle consacre un paradoxe : l’accord est parrainé par Washington, la même capitale qui, en 1996, ferma les yeux lorsque Kigali, Kampala et Bujumbura pénétrèrent au Zaïre pour renverser Mobutu.
1 | Trente ans de chaos, 5,4 millions de morts : l’hécatombe invisible
Entre 1998 et 2007, la guerre et ses corollaires — faim, maladies, déplacements — ont tué 5,4 millions de personnes selon l’International Rescue Committee The IRC. À ce jour, 7 millions de déplacés errent encore à l’intérieur du pays, un record africain passé presque inaperçu hors du continent. La signature de Washington fait donc figure d’ultime promesse après Lusaka (1999) ou Pretoria (2002), promesses restées lettre morte.
2 | Washington, arbitre et partie prenante
Pourquoi les clés de la paix congolaise se trouvent-elles à nouveau entre des mains américaines ?
- Post-génocide : les FPR rwandais deviennent alliés « modèles » de la lutte antiterroriste.
- Transition verte : les batteries électriques nécessitent cobalt et coltan, dont 70 % proviennent de RDC.
- Inflation Reduction Act : les États-Unis sécurisent leurs chaînes d’approvisionnement critiques.
Bref : stabiliser le Kivu, oui ; remettre en cause l’accès privilégié du Rwanda aux gisements congolais, non.
3 | Des chiffres qui dérangent Kigali… mais pas Washington
- Coltan : le Rwanda a exporté 2 070 t en 2023, plus que la RDC voisine (1 918 t) Ecofin Agency.
- Traçabilité : malgré le EU Battery Regulation 2023, aucune clause contraignante n’impose la certification « mine-au-métal » dans l’accord de Washington OECD.
- Conflit & minerais : l’ONU rappelait dès 2010 que Kigali profitait d’« exportations suspectes » venues des zones rebelles The Enough Project.
Le texte parle de « chaînes de valeur licites », mais sans calendrier ni sanctions en cas de fraude.
4 | La grande absente : la justice internationale
Arusha : un précédent ignoré
En 1994, l’ONU créait à Arusha le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), via la résolution 955, pour juger les responsables du génocide Bibliothèque numérique des Nations Uniesunictr.irmct.org.
Congo : toujours pas de tribunal
Le Mapping Report de l’ONU (2010) a listé 617 massacres commis entre 1993 et 2003 et recommandé la création d’un tribunal mixte. L’idée n’a jamais franchi le stade du PDF HRWMONUSCO.
Question crue : peut-on parler de paix sans réparations et sans mise en accusation des commanditaires ?
Pourquoi ce deux-poids deux-mesures ?
- Le Rwanda — allié stratégique des Occidentaux — craint qu’une juridiction neutre n’exhume ses dérives au Congo.
- Les capitales occidentales redoutent qu’un tribunal n’ouvre la boîte de Pandore sur le rôle de leurs propres compagnies minières.
Résultat : la justice reste la grande oubliée du texte.
5 | Un accord qui légalise l’accès rwandais aux minerais ?
La Déclaration évoque un « cadre d’intégration économique régionale » et promet des « investissements significatifs » emmenés par le secteur privé américain. Traduction :
- Hydroélectricité, parcs nationaux, chaînes de valeur des 3T+G (or, étain, tungstène, tantale).
- Partenariat direct RDC-Rwanda pour « dérisquer » les filières.
- Absence de référence au Code Minier congolais qui oblige normalement les co-entreprises à 51 % congolais.
Conséquence : Kigali obtient, de facto, une porte d’entrée légale sur les gisements congolais qu’il exploitait déjà de manière clandestine.
6 | Kigali et Kampala vont-ils vraiment cesser de déstabiliser ?
L’accord promet la fin de tout soutien étatique aux groupes armés. Or le M23 contrôle toujours des pans entiers du Nord-Kivu — avec, selon l’ONU, un soutien logistique rwandais The Enough Project. Sans mécanisme de vérification indépendant (MONUSCO se retire fin 2025), cette clause s’apparente à un vœu pieux.
7 | Peut-on sauver l’accord ? Quatre pistes concrètes
Priorité | Action indispensable | Risque si ignorée |
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Justice | Tribunal hybride UA-ONU pour crimes 1993-aujourd’hui | Cycle éternel d’impunité |
Vérification | Mission conjointe UA-SADC dotée d’un mandat onusien de 24 mois | Retour rapide des milices |
Traçabilité | Adoption obligatoire du label OCDE + “battery passport” UE pour TOUTES les exportations | Maintien du trafic illicite |
Gouvernance | Révision du Code minier pour exiger 51 % d’actionnariat congolais | Captation étrangère des revenus |
8 | En guise de coda
En 2003, alors que le TPIR entamait ses premiers jugements, un militant congolais demandait : « Et nous, qui viendra pleurer nos morts ? » Vingt ans plus tard, la question demeure.
Sans justice, la paix est un mythe ; avec la justice, la paix devient un pari.
La Déclaration de Washington trace-t-elle un chemin vers la paix ou pavera-t-elle l’autoroute d’un pillage régularisé ? La balle — et les minerais — sont dans le même camp.
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En conclusion, la « Déclaration de Washington » fera peut-être la une des chancelleries, mais la vraie une se joue encore dans les collines du Kivu. Un texte, si élégant soit-il, ne fera taire ni les crépitements des Kalachnikovs ni les bulldozers qui éventrent les sols congolais pour extraire un or numérique vendu sur les places boursières.
En 1994, la communauté internationale sut convoquer Arusha pour juger les bourreaux du Rwanda ; refuser aujourd’hui un tribunal au Congo revient à inscrire ses morts dans une catégorie d’oubliés. Pas de justice ? Alors pas de paix : c’est la loi implacable de l’Histoire contemporaine.
Or la justice ne se limite pas aux prétoires. Elle réclame aussi des chaînes d’approvisionnement transparentes, un code minier renforcé, et des investisseurs qui mesurent leurs dividendes à l’aune de la dignité humaine. Chaque tonne de coltan tracée, chaque réfugié rapatrié en sécurité, chaque chef de guerre traduit devant un juge valent davantage qu’un beau cérémonial à Washington.
En définitive, le Congo n’a pas besoin d’un nouveau parchemin diplomatique, mais d’un contrat moral opposable : qui exploite, répare ; qui gouverne, protège ; qui investit, rend des comptes. À ce prix seulement, la « voie vers la paix » promise le 25 avril 2025 cessera d’être un slogan et deviendra un horizon.
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