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Doha, nouvelle capitale de la paix en Afrique centrale ?

Un front diplomatique élargi se dessine autour du conflit congolais : entre intentions louables et intérêts stratégiques, la déclaration conjointe de Doha relance l’éternelle question de la souveraineté et de la justice en RDC.



Par Congo Heritage

Le 18 mars 2025, une réunion trilatérale d’envergure s’est tenue à Doha entre les présidents de la République démocratique du Congo (RDC), du Rwanda et de l’État du Qatar. À l’issue de cette rencontre, les représentants de six pays – les États-Unis, la France, le Rwanda, la RDC, le Togo et le Qatar – ont publié une déclaration conjointe soulignant leur engagement à soutenir les efforts de paix dans l’est de la RDC. L’intégralité de cette déclaration est disponible sur le site officiel du Département d’État américain : state.gov.

Ce document diplomatique marque un tournant potentiel dans un conflit qui perdure depuis plus de 30 ans. Mais à quel prix ? Et pour qui ?


Qatar, puissance montante de la médiation globale

Le choix de Doha comme lieu de négociation ne relève pas du hasard. Le Qatar, fort de son rôle dans les pourparlers afghans et sa diplomatie agile au Moyen-Orient, cherche désormais à exporter son modèle de médiation au cœur du continent africain. En servant d’hôte à ces pourparlers de paix, Doha s’inscrit dans une stratégie géopolitique plus large : devenir un carrefour diplomatique mondial.


Un dialogue avec le M23 légitime-t-il la force ?

La déclaration salue « la déclaration commune entre la RDC et l’AFC/M23, facilitée par le Qatar, concernant leur engagement pour un cessez-le-feu », une avancée diplomatique à première vue prometteuse. Mais cette reconnaissance du groupe rebelle – accusé par l’ONU d’être soutenu par le Rwanda – soulève des préoccupations majeures sur la légitimation de la violence comme outil de négociation.

Si Kinshasa dialogue officiellement avec le M23, ne crée-t-on pas un précédent dangereux, où toute milice armée peut, par la force, se faire une place à la table des puissants ?


Une paix construite sans les peuples ?

Le texte insiste sur « l’urgence d’une réponse humanitaire coordonnée » et la nécessité d’un dialogue pour aborder les causes profondes du conflit. Pourtant, aucune mention claire n’est faite des victimes civiles, des mécanismes de justice transitionnelle, ou du rôle des communautés locales.

Ce silence interpelle : comment construire une paix durable sans inclure les voix de ceux qui ont le plus souffert ? Les négociations entre États peuvent-elles vraiment remplacer une réconciliation nationale fondée sur la justice, la mémoire et la vérité ?


Une architecture régionale en recomposition

La déclaration se félicite également des « progrès réalisés après le sommet conjoint EAC-SADC de Dar es Salaam », et du rôle croissant du président togolais Faure Gnassingbé comme médiateur officiel de l’Union africaine. Cette recomposition régionale pourrait être salutaire, à condition qu’elle ne soit pas parasitée par les rivalités entre organisations africaines (EAC, CIRGL, SADC) et l’influence des puissances extérieures.

Les États-Unis, quant à eux, préfèrent jouer la carte de l’influence économique et diplomatique plutôt que celle de l’intervention militaire directe. Une constante dans leur politique étrangère post-Afghanistan, qui favorise le soft power et la diplomatie par les intérêts.


Vers une paix instrumentalisée ?

La déclaration de Doha est-elle un réel pas vers la paix ou un instrument pour redessiner les sphères d’influence dans la région des Grands Lacs ? Le risque existe que ce processus ne soit qu’une opération de gestion de crise à court terme, dictée par des impératifs géopolitiques, énergétiques et économiques – notamment autour des minerais stratégiques du Congo.


Entre symbolisme diplomatique et exigence de vérité

Une fois encore, les grandes puissances signent un texte pour « soutenir la paix » en RDC. Mais l’histoire récente a appris aux Congolais à ne pas confondre déclarations et transformations. Sans un ancrage fort dans la souveraineté populaire, sans justice pour les victimes, et sans assainissement des circuits mafieux qui alimentent le chaos à l’Est, aucun cessez-le-feu ne tiendra longtemps.

La déclaration de Doha pourra-t-elle faire mieux que les Accords de Lusaka, de Sun City, ou les processus de Nairobi et Luanda ? Ce sera aux Congolais eux-mêmes, et non aux médiateurs, d’en décider.

Et si la paix n’était qu’une illusion bien diplomatiquement emballée ?

La déclaration conjointe de Doha, avec son langage policé et ses promesses multilatérales, offre l’apparence d’un tournant. Pourtant, l’histoire du Congo nous enseigne que les véritables ruptures ne naissent pas dans les salons dorés des capitales étrangères, mais dans les décisions courageuses prises au plus près des souffrances du peuple.

Peut-on sérieusement parler de paix sans justice, de cessez-le-feu sans vérité, de stabilité sans transformation profonde des structures qui alimentent l’impunité ? Chaque négociation qui exclut les communautés affectées ne fait que repousser l’inévitable : une nouvelle explosion de violence, plus brutale encore, parce que les racines du conflit auront été maquillées mais non arrachées.

Et si le plus grand danger aujourd’hui n’était pas la guerre elle-même, mais l’illusion que l’on peut pacifier une région par des alliances temporaires, des promesses d’investissements, et des sourires diplomatiques ? La paix n’est pas une marchandise qu’on échange dans des forums ; c’est une vérité qu’on construit sur les ruines de la douleur collective, avec pour fondation la justice, la mémoire et la dignité retrouvée.

Alors, Doha : avancée historique ou simple pause stratégique ? L’avenir nous le dira. Mais le peuple congolais, lui, ne doit plus se contenter d’être le décor d’une paix négociée sans lui.


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