Joseph Kabila : Du Maquis au Palais, puis de Retour dans les Broussailles — Une Tragédie Congolaise et Universelle

Premier cas historique d’un ancien rebelle devenu président, puis redevenu rebelle : le cas unique de Joseph Kabila en République Démocratique du Congo, entre théâtre politique et tragédie machiavélique.
Une boucle étrange dans l’histoire politique du monde
Il n’existe dans l’histoire contemporaine aucun précédent aussi déroutant que celui de Joseph Kabila Kabange. Arrivé pour la première fois en République Démocratique du Congo (RDC) en 1996 en tant que jeune rebelle aux côtés de son père, Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila devient cinq ans plus tard, en 2001, président de l’un des plus vastes pays d’Afrique.
En 2019, contre toute attente, il accepte de céder officiellement le pouvoir à Félix Tshisekedi — dans ce qui est largement perçu comme un deal électoral arrangé en coulisses. Mais en 2025, le scénario prend un tournant digne d’un roman noir : Kabila revient clandestinement à Goma via Kigali, soutenant le mouvement rebelle AFC/M23. Un ancien rebelle devenu président, puis redevenu rebelle : un cas unique au monde, mais lourd de significations pour le destin chaotique de la RDC.
Quand un ancien président préfère la kalachnikov à la retraite, ce n’est pas la République qui est malade. C’est l’âme de ses dirigeants.
De l’ombre à la lumière, puis de nouveau à l’ombre
Lorsque Joseph Kabila succède à son père assassiné en 2001, il apparaît comme une figure mystérieuse. Peu loquace, stratège silencieux, il manœuvre avec prudence dans un pays morcelé par des groupes armés et des intérêts étrangers. Mais deux décennies plus tard, son retour dans le maquis interroge : pourquoi un ancien chef d’État, fortuné, diplomé, et disposant encore d’un réseau international, choisit-il de réapparaître aux côtés d’un groupe rebelle qualifié de terroriste par Kinshasa ?
Sa réapparition dans la ville de Goma, sous contrôle du M23, révèle une réalité plus profonde : le pouvoir en RDC n’est pas une fonction, c’est une obsession, un totem sacré, un talisman qu’on refuse de lâcher.
Leçons de Machiavel : le pouvoir comme fin ultime
Dans Le Prince, Nicolas Machiavel écrit que « les hommes oublient plus facilement la mort de leur père que la perte de leur héritage ». Kabila semble incarner ce cynisme politique à la perfection. Pour Machiavel, un dirigeant doit savoir user de la ruse, de la force, de la manipulation et parfois de la trahison pour préserver le pouvoir. Joseph Kabila n’a jamais caché son goût pour la dissimulation : gouverner en silence, sans conférences de presse, sans confrontation directe avec l’opinion.
Son retour comme soutien d’un groupe armé semble répondre à une logique simple : si la voie démocratique n’a pas garanti la pérennité de son influence, alors la voie militaire redevient une option. Ce pragmatisme brutal, machiavélique, repose sur une lecture du pouvoir comme instrument de survie et non comme mission au service du peuple.
Une trahison du peuple et une nation prise en otage
Comment expliquer qu’un homme qui a gouverné la RDC pendant 18 ans et amassé une immense fortune selon les rapports du Bloomberg et de l’ONU, puisse revenir dans l’arène par la porte du conflit armé ? Ce retour jette une lumière crue sur l’échec du leadership congolais. Kabila, comme d’autres avant lui, semble incarner une classe dirigeante plus attachée à ses privilèges qu’à sa mission.
Pendant ce temps, le peuple congolais reste prisonnier d’un éternel recommencement : massacres, viols, déplacements, pillages, et une pauvreté chronique dans un pays pourtant regorgeant de richesses naturelles. C’est une trahison monumentale de l’idéal national.
Pourquoi cette obsession du pouvoir ?
Le cas Kabila soulève une question anthropologique : qu’est-ce qui pousse un homme à ne jamais lâcher le pouvoir, même au prix du chaos ? La peur d’être poursuivi pour corruption ? L’illusion d’être irremplaçable ? L’incapacité à vivre en dehors de l’appareil d’État ? Ou tout simplement une addiction au pouvoir ?
Les psychologues politiques parlent du « syndrome du pharaon » : cette croyance que seul le trône donne un sens à l’existence. Le pouvoir devient alors une drogue dure. Plus on en consomme, plus on en veut. Et plus on en perd, plus on devient dangereux.
Ce que cela révèle du conflit congolais
Le retour de Kabila du côté des rebelles révèle l’échec du système politique congolais à créer une culture de l’alternance saine. Il montre aussi que les conflits armés dans l’Est ne sont pas simplement des guerres tribales ou des luttes économiques, mais souvent des extensions de querelles entre élites de Kinshasa. Le Nord-Kivu est devenu le terrain de jeu des ambitions refoulées.
Et quand un ancien président s’allie avec un groupe rebelle pour tenter un retour — c’est que la République n’a jamais été vraiment consolidée.
Une tragédie africaine, mais aussi universelle
L’histoire de Joseph Kabila est une allégorie puissante de la tragédie africaine, mais aussi une fable politique universelle. Elle interroge notre rapport au pouvoir, notre tolérance à l’injustice, et notre capacité à exiger des comptes à ceux qui dirigent. En RDC, comme ailleurs, le pouvoir ne devrait pas être un but en soi, mais un moyen de servir.
Mais tant que les Kabila de ce monde préféreront le chaos à la retraite, tant que les deals politiques resteront opaques, tant que la pauvreté du peuple servira de toile de fond aux querelles d’élite, la RDC restera un pays riche sous contrôle d’hommes pauvres d’âme.
Pour aller plus loin :
- Rapport de Bloomberg sur la fortune de la famille Kabila (2017)
- Analyse Machiavélienne du pouvoir en Afrique – The Conversation
- Carte interactive des conflits en RDC – Crisis Group
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