La RDC engage la levée d’immunité de l’ex‑président Joseph Kabila pour soutien présumé aux rebelles

Joseph Kabila rattrapé par l’histoire
De sa marche victorieuse sur Kinshasa aux côtés de son père en 1996 à la menace d’une mise en accusation pour “trahison” en 2025 : comment Joseph Kabila incarne les paradoxes d’un Congo où les anciens libérateurs deviennent suspects de subversion.
La nouvelle est tombée comme une gifle. Kinshasa veut que le Sénat lève l’immunité de Joseph Kabila, ancien chef de l’État congolais, aujourd’hui soupçonné d’appuyer la rébellion M23/AFC qui occupe Goma et Bukavu. Le ministre de la justice, Constant Mutamba, assure détenir « un faisceau de documents et de témoignages ». Si la Chambre haute acquiesce, l’homme qui aura personnifié le Congo pendant dix‑huit ans pourrait comparaître devant les magistrats militaires de son pays.
Une dynastie de rébellions
Rappelons‑nous. Octobre 1996 : Laurent‑Désiré Kabila, flanqué de soutiens rwandais et ougandais, traverse le Zaïre à la tête de l’AFDL. Mai 1997 : Mobutu s’enfuit, Joseph, 25 ans, marche déjà aux côtés de son père. Janvier 2001 : le père est assassiné, le fils, 29 ans, lui succède. Deux élections contestées, un « glissement » de deux ans après la fin officielle de son mandat, puis une passation inédite du pouvoir à Félix Tshisekedi en 2019. Depuis, silence radio ou presque : Kabila réside en Afrique du Sud, prépare une thèse sur la géopolitique sino‑américaine… et, aujourd’hui, se retrouve accusé de financer la rébellion qu’il prétend vouloir combattre.
Pourquoi maintenant ?
- Terrain militaire. Les FARDC reculent ; les milices wazalendo sont les derniers remparts. Indexer l’ancien président, c’est désigner un coupable pour l’enlisement à l’Est.
- Diplomatie. Kinshasa et Kigali viennent de signer à Washington une Déclaration de principes qui ouvre la voie à un « joint‑venture » minier : extraction congolaise, raffinage rwandais. Un Kabila influent à Goma ? Mauvais pour l’image, et pour les investisseurs.
- Politique interne. Le parti de l’ancien président, le PPRD, vient d’être suspendu pour « attitude ambiguë ». Le message est clair : toute posture jugée conciliante avec le M23 sera sanctionnée.
Le procès aura‑t‑il lieu ?
Trois issues se dessinent :
- Kabila rentre et affronte la justice. Peu probable : il devrait renoncer à son immunité sénatoriale et parier sur un tribunal considéré indépendant.
- Procès in absentia. Hautement plausible si Pretoria rechigne à l’extrader ; verdict symbolique, colère de ses partisans.
- Négociation. Dans l’ombre de la médiation américano‑rwandaise, un compromis pourrait naître : pas de poursuite si l’ancien président se retire définitivement du jeu.
Le Congo n’a jamais jugé – ni même auditionné – un ancien chef de l’État. Une comparution de Kabila serait une première historique ; elle ouvrirait la voie à un examen plus vaste : celui des crimes commis depuis la « Première Guerre mondiale africaine » (1996‑2003). Peut‑on pacifier le Kivu sans solder ce passé ? Les Nations unies l’avaient suggéré en 2010 dans leur Mapping Report ; le document dort toujours dans les tiroirs.
Au‑delà de Kabila
Cette affaire concerne plus qu’un seul homme. Elle interroge :
- La capacité du Congo à imposer l’État de droit à ses anciens dirigeants.
- La sincérité des accords de Washington : peut‑on bâtir une filière « verte » sur des fondations minées par l’impunité ?
- La responsabilité régionale : Kigali et Kampala, jadis parrains de l’AFDL, peuvent‑ils aujourd’hui endosser le rôle de garants de la paix sans rendre de comptes sur hier ?
Si Joseph Kabila est effectivement traduit devant la justice, le Congo accomplira un geste rarissime : assigner à la barre un ancien chef de l’État pour ses liens présumés avec la guerre la plus meurtrière depuis 1945. Mais la question dépasse le destin d’un seul homme. Qui, après lui, osera briser le silence sur les complicités régionales, l’appétit insatiable des marchés pour le cobalt, ou le rôle ambigu des chancelleries occidentales ?
Dans un monde électrisé par la transition verte, chaque batterie de véhicule électrique porte déjà une empreinte du Kivu. La véritable révolution congolaise ne viendra pas d’une nouvelle rébellion, ni d’un énième accord signé sous les dorures de Washington, mais d’une justice capable de remonter la chaîne des responsabilités jusqu’aux derniers maillons—qu’ils soient rebelles, ministres ou multinationales.
Le verdict, s’il vient, dira moins si Kabila est coupable que si le Congo est enfin prêt à affronter son passé pour réécrire son avenir.
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