Le Moment Américain du Congo : Une alliance historique à réinventer

Des débuts diplomatiques sous Léopold II à une nouvelle opportunité minérale, la République Démocratique du Congo peut-elle enfin transformer son potentiel en puissance ?
Kinshasa – Si l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs, elle est aussi parfois oubliée par les bénéficiaires. Peu de Congolais savent que le tout premier État à reconnaître l’existence de l’État Indépendant du Congo, en 1885, ne fut ni la France ni le Portugal — deux puissances coloniales majeures de l’époque — mais les États-Unis d’Amérique. Alors que Paris et Lisbonne refusaient de légitimer un territoire gigantesque détenu par un seul homme, le roi Léopold II de Belgique, c’est Washington qui, à travers un subtil jeu diplomatique, donna à Léopold la reconnaissance internationale tant recherchée, en échange d’une promesse : faire du Congo une zone de libre-échange pour les puissances occidentales.
Autrement dit, sans l’Amérique, il n’y aurait peut-être jamais eu de Congo tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Une responsabilité historique méconnue
Mais cette alliance fondatrice s’accompagne d’une responsabilité morale lourde. L’histoire des relations entre les États-Unis et la République Démocratique du Congo est tissée de paradoxes. Le soutien indirect à l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961, figure emblématique du panafricanisme, reste une tache indélébile dans les archives de la Guerre froide. L’appui inconditionnel à Mobutu Sese Seko, au nom de la lutte contre le communisme, a contribué à étouffer pendant des décennies les aspirations démocratiques du peuple congolais.
Plus récemment, depuis 1994, le soutien stratégique apporté au Rwanda — malgré les multiples rapports des Nations Unies accusant Kigali d’ingérence dans l’Est congolais — pose des questions sur la cohérence de la diplomatie américaine dans les Grands Lacs.
Leçons de reconstruction : de Berlin à Kigali
Et pourtant, l’Amérique a souvent été, ailleurs, l’architecte de renaissances spectaculaires. Après la destruction totale de l’Allemagne nazie en 1945, les États-Unis n’ont pas seulement vaincu militairement le Reich : ils ont investi massivement dans sa reconstruction via le plan Marshall. Résultat : l’Allemagne réunifiée est aujourd’hui la locomotive économique de l’Europe.
Le Japon, pulvérisé par deux bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki, a vu ses cendres devenir le sol fertile d’un miracle économique, grâce à l’aide américaine. La Corée du Sud, divisée, meurtrie, est aujourd’hui le berceau de géants industriels comme Samsung, Hyundai ou LG, en grande partie grâce à son alliance stratégique avec les États-Unis.
Même l’exemple du Rwanda post-génocide mérite réflexion : sous l’impulsion de l’administration Clinton, Washington a doublé, triplé son aide au développement, finançant des routes, des écoles, et des institutions solides. Résultat : Kigali fait figure aujourd’hui de capitale modèle sur le continent africain.
Une opportunité à ne pas gaspiller
Aujourd’hui, un nouveau chapitre s’ouvre. Un accord stratégique autour des minerais critiques, tels que le cobalt, le cuivre ou le lithium — essentiels à la transition énergétique mondiale — place la RDC au centre de l’attention des États-Unis. À condition de ne pas répéter les erreurs du passé, ce pacte peut devenir le socle d’un redressement économique historique.
Mais cela suppose une chose : que les dirigeants congolais saisissent cette opportunité avec audace et lucidité. Comme l’ont fait les Allemands après 1945, les Coréens dans les années 60, ou les Rwandais dans les années 2000. Aucun de ces pays n’a atteint le développement en s’enfermant dans la victimisation. Ils ont négocié, construit, et exigé des partenariats équilibrés.
Justice, paix, souveraineté
Mais avant toute chose, le Congo doit se battre pour la justice. Tant que les crimes de masse commis dans l’Est du pays ne seront ni jugés ni reconnus, aucune paix durable ne sera possible. Et sans paix, aucun développement ne tiendra. Le gouvernement congolais devrait, avec le soutien américain, militer pour la création d’un Tribunal pénal international pour le Congo, afin de briser le cycle de l’impunité.
C’est aussi dans l’intérêt de Washington : un Congo stable, prospère, respecté, est un allié stratégique de poids dans une Afrique convoitée par la Chine, la Russie, la Turquie et d’autres puissances émergentes.
Un rêve congolais américain ?
Certes, les États-Unis ont aussi échoué dans certains pays : l’Irak, l’Afghanistan ou encore des portions de l’Amérique latine. Mais le succès d’un partenariat ne dépend pas seulement de celui qui aide — il dépend aussi de celui qui accepte l’aide. Et de ce qu’il en fait.
Si les dirigeants congolais font preuve de vision, s’ils investissent dans l’éducation, la technologie, la transformation locale des minerais, la justice et la stabilité institutionnelle, alors le XXIe siècle pourrait être celui de la RDC. Et le “Moment Américain du Congo”, non plus une illusion géopolitique, mais le moteur d’une véritable renaissance.
Parce que le monde ne nous attendra pas. Et l’Histoire, elle, ne repasse jamais deux fois.
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