Comment les rencontres quotidiennes reproduisent l’autorité publique
Par Judith Verweijen, Kasper Hoffmann & Godefroid Muzalia
Ce document de travail développe une sociologie politique des barrages routiers pour démontrer comment, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ces barrages contribuent à la production et à la reproduction de l’autorité publique. Cette région est marquée par des conflits armés persistants, une fragmentation de l’État et la présence de nombreux groupes armés non étatiques [1].
En utilisant une approche dramaturgique inspirée des travaux du sociologue Erving Goffman, nous montrons comment, lors des rencontres aux barrages routiers, l’autorité publique est instantanément produite à travers les performances conjointes des agents des barrages (souvent des militaires, des policiers ou des membres de groupes armés), des barrages eux-mêmes (en tant qu’infrastructures matérielles) et des usagers de la route [2]. Ces interactions peuvent être comparées à une mise en scène théâtrale où chaque acteur joue un rôle spécifique selon un script socialement établi.
En nous appuyant sur la théorie de la structuration d’Anthony Giddens, nous analysons comment ces performances sont structurées par des normes, des discours et des relations de pouvoir qui leur confèrent du sens et influencent l’agency des individus impliqués [3]. Les usagers de la route, par exemple, se conforment souvent aux demandes des agents des barrages—comme le paiement de « taxes » informelles—non seulement par crainte de sanctions, mais aussi parce que ces pratiques sont socialement normalisées.
Parce que la plupart des rencontres aux barrages routiers suivent des scripts bien définis, elles contribuent à la reproduction plutôt qu’à la transformation des structures qui façonnent l’autorité publique en RDC, indépendamment de l’identité de ceux qui l’exercent. Cela perpétue un système où l’autorité est exercée de manière routinière, souvent perçue comme illégitime ou corrompue, mais néanmoins acceptée comme une réalité quotidienne [4].
Notre approche offre une conceptualisation affinée de l’agency lors des rencontres aux barrages routiers, ce qui permet de mieux comprendre quand et pourquoi les individus se conforment aux demandes des opérateurs des barrages. Elle met également en lumière les effets cumulatifs de ces micro-pratiques sur les ordres sociopolitiques plus larges, notamment en ce qui concerne la légitimité de l’État, la gouvernance locale et les dynamiques de pouvoir entre différents acteurs [5].
Contexte supplémentaire :
Les barrages routiers en RDC sont omniprésents, avec une estimation de plusieurs centaines à travers le pays, particulièrement dans les régions instables de l’est [6]. Ils sont érigés par diverses autorités, qu’elles soient étatiques ou non étatiques, chacune cherchant à exercer un contrôle territorial et à générer des revenus. Ces barrages affectent non seulement la mobilité des personnes et des biens, mais aussi la perception de l’autorité et de la légitimité de l’État.
Les usagers de la route sont confrontés à des demandes récurrentes de paiement, parfois sous la menace ou l’intimidation. Ces interactions routinières renforcent des structures de pouvoir inégalitaires et contribuent à l’entretien d’un système de gouvernance informelle. Les barrages deviennent ainsi des sites où s’articulent les enjeux de souveraineté, de sécurité et d’économie informelle.
Source :
Comment les rencontres quotidiennes reproduisent l’autorité publique
Liens utiles :
[1] International Crisis Group – République démocratique du Congo
[2] Erving Goffman – Sociologie de l’interaction
[3] Anthony Giddens – Théorie de la structuration
[4] Transparency International – Corruption en RDC
[6] RFI – Barrages routiers et corruption en RDC
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