Jean-Charles Magabe, ancien gouverneur du Sud-Kivu
Entretien avec Jean-Charles Magabe, ancien gouverneur du Sud-Kivu réfugié en Belgique après avoir refusé de collaborer avec les rebelles du RCD.
Le Professeur Jean-Charles Magabe
Qui est Jean-Charles Magabe?
Jean-Charles Magabe était un homme politique congolais et ancien gouverneur de la province du Sud-Kivu et ancien recteur de l’Université Catholique de Bukavu. Originaire de Bukavu, une ville située dans l’est du Congo, Magabe est une figure importante de la région, marquée par une longue histoire de conflits et d’instabilité. Diplômé d’universités belges, il a reçu une formation universitaire approfondie en sciences politiques et en administration publique, ce qui lui a permis de se préparer pour une carrière au service de son pays.
En juin 1997, Jean-Charles Magabe a été nommé gouverneur du Sud-Kivu par Laurent Kabila, dans un contexte politique extrêmement tendu. La province venait de traverser une période tumultueuse due à l’insurrection menée par L’AFDL, qui avait renversé le régime de Mobutu Sese Seko. Malgré ses réserves à l’égard du nouveau pouvoir en place, Magabe accepta cette responsabilité avec pour mission de reconstruire une région profondément affectée par les conflits.
Cependant, son mandat fut rapidement confronté à une nouvelle crise. En août 1998, une rébellion éclata dans l’est du Congo, orchestrée par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), soutenu par les gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda. Cette rébellion visait à s’emparer du pouvoir à Kinshasa et à prendre le contrôle des provinces de l’est, riches en ressources naturelles. Magabe, fidèle à ses principes et déterminé à servir les intérêts de son peuple, refusa de collaborer avec les rebelles, malgré les pressions croissantes.
Durant son mandat, Magabe fut témoin des horreurs de la guerre civile, notamment des massacres et des déplacements massifs de populations. Malgré ses efforts pour appeler à une intervention militaire et à des enquêtes sur les atrocités, son pouvoir était limité par la domination des forces armées étrangères et la détérioration de la situation sécuritaire. À plusieurs reprises, les rebelles tentèrent de rallier Magabe à leur cause, mais il refusa catégoriquement de soutenir une guerre qu’il considérait comme une forme de torture morale pour la population congolaise.
En octobre 1998, après avoir réalisé qu’il ne pouvait plus exercer son autorité de manière efficace et ne voulant pas cautionner la souffrance de son peuple, Jean-Charles Magabe décida de quitter le Sud-Kivu. Il s’exila en Belgique, où il continua de dénoncer l’implication des forces étrangères dans le conflit congolais et de critiquer le manque d’action de la communauté internationale.
Magabe est reconnu pour son intégrité et son dévouement envers les populations locales du Sud-Kivu. Son refus de collaborer avec les rebelles du RCD, malgré les risques pour sa propre sécurité, témoigne de son engagement à défendre la justice et la dignité des Congolais. En exil, il poursuivit son travail en tant que figure de l’opposition, plaidant pour la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs.
Sa Mort:
Il est décédé en exil en Belgique, dans des circonstances qui suscitent encore des interrogations. Certains membres de sa famille et de son entourage sont convaincus qu’il aurait été empoisonné, victime d’un complot lié à son refus de se soumettre aux intérêts étrangers qui cherchaient à déstabiliser la République Démocratique du Congo. Malgré l’ombre qui plane sur sa disparition, Jean-Charles Magabe reste dans les mémoires comme un homme de principes, un patriote inébranlable qui, jusqu’à son dernier souffle, a choisi de défendre la dignité de son peuple plutôt que de se compromettre.
Son héritage continue d’inspirer de nombreuses générations de Congolais. Magabe n’a jamais cédé aux pressions des rebelles ni aux tentatives de corruption. Pour beaucoup, il symbolise le courage, la résilience et la fidélité aux idéaux de justice et de liberté. Ses actes de bravoure, sa vision pour un Congo uni et en paix, et son refus catégorique de trahir son pays lui ont valu le respect tant au niveau national qu’international.
Aujourd’hui, Jean-Charles Magabe est célébré non seulement comme un gouverneur intègre, mais aussi comme un leader qui a su mettre les intérêts de la nation avant ses propres ambitions. Plusieurs observateurs et historiens voient en lui un martyr de la cause congolaise, dont le sacrifice a renforcé la détermination de ceux qui continuent de lutter pour l’indépendance et la souveraineté du Congo. Son nom restera à jamais gravé dans l’histoire comme celui d’un homme qui a refusé de courber l’échine devant l’injustice, et qui a payé le prix ultime pour son engagement inébranlable envers sa patrie.
Entretien avec Jean-Charles Magabe, ancien gouverneur du Sud-Kivu réfugié en Belgique après avoir refusé de collaborer avec les rebelles du RCD#
Par Marie-Laure Colson de Liberation
Jean-Charles Magabe, ancien gouverneur du Sud-Kivu, s’est réfugié en Belgique après avoir refusé de cautionner la rébellion menée par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). Nommé gouverneur en juin 1997, Magabe, universitaire originaire de Bukavu, s’est engagé à reconstruire une région dévastée par la précédente insurrection qui avait porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir. Cependant, en 1998, alors qu’une nouvelle rébellion soutenue par le Rwanda et l’Ouganda éclatait, Magabe décida de partir. Dans cet entretien, il partage ses raisons de fuir, les conséquences humaines du conflit, et ses opinions sur la situation.
Marie-Laure Colson (MLC) : Pourquoi avez-vous décidé de quitter le Kivu ?
Jean-Charles Magabe (JCM) : Je suis parti car, comme vous le savez, depuis le 2 août 1998, une guerre a été lancée par certains de nos compatriotes, encouragés par le Rwanda et l’Ouganda. Cette guerre, cependant, est une guerre que la population locale ne peut accepter – elle la ressent comme une torture morale. Nous avons été témoins de diverses atrocités, y compris du harcèlement et des pillages. Rester à mon poste de gouverneur dans ces conditions aurait été cautionner la souffrance du peuple, et je ne pouvais pas faire cela.
MLC : Avez-vous été personnellement témoin des massacres au Kivu ?
JCM : Je ne les ai pas vus de mes propres yeux. Mener des enquêtes est extrêmement difficile car l’armée détient le pouvoir dans la région, et elle est largement contrôlée par des forces étrangères. Mais nous avons des rapports fiables. Par exemple, nous savons qu’à Kasika, le chef coutumier et sa femme ont été tués par des Tutsis, ainsi que des centaines de villageois, de prêtres et de religieuses. Cela s’est produit vers le 25 août. J’ai demandé à l’armée d’enquêter et de punir les coupables. Jusqu’à ce jour, rien n’a été fait.
MLC : Avez-vous observé des déplacements de populations au Kivu ?
JCM : Oui. De nombreux Tutsis fuient le nord du Katanga vers Uvira, affirmant échapper à l’insécurité. C’est assez surprenant, sachant que la rébellion est supposée contrôler la région, mais semble incapable de garantir la sécurité de ses propres citoyens.
MLC : Aviez-vous réellement une autorité à Bukavu ?
JCM : Administrativement, oui. Mais en pratique, c’était une autorité seulement de nom. Les gens n’étaient ni mentalement ni émotionnellement en mesure de travailler correctement. Ceux qui se présentaient à leur bureau essayaient principalement de recueillir des informations. Il y avait une insécurité généralisée, une incertitude, et du désespoir. Nous avions commencé des projets de réhabilitation, mais tout cela s’est arrêté à cause de quelques individus qui veulent accéder au pouvoir. C’est profondément décourageant.
MLC : Les rebelles ont-ils essayé de vous rallier à leur cause ?
JCM : Oui. Lorsque le conflit a éclaté, j’étais en mission à Goma. Les leaders rebelles m’ont ramené à Bukavu et m’ont dit que je resterais gouverneur, mais uniquement si je jouais leur jeu. Pendant deux mois, je les ai observés de près. Leurs idéaux me paraissaient vagues, et surtout, j’ai réalisé que les besoins et aspirations du peuple – à qui je dois mon poste – étaient complètement ignorés.
MLC : Avez-vous reçu un soutien de Kinshasa ces derniers mois ?
JCM : Non, on ne sent pas que Kinshasa prend les choses en main.
MLC : Des renforts militaires ont-ils été envoyés à Bukavu ?
JCM : Non, jamais.
MLC : Regrettez-vous le manque d’attention internationale concernant le conflit au Kivu ?
JCM : Absolument. Mais je me demande si c’est vraiment un manque d’intérêt ou une forme de complicité. Les pays impliqués dans cette guerre, comme le Rwanda et l’Ouganda, n’ont pas les ressources pour la soutenir seuls. Aucun de ces pays ne produit quoi que ce soit de significatif ; d’où viendraient-ils les moyens de mener une guerre ? Ces ressources doivent venir d’ailleurs. C’est frustrant que, au lieu de s’unir pour développer la région des Grands Lacs, ces puissances extérieures financent des massacres.
MLC : Quel est, selon vous, l’objectif des rebelles ?
JCM : Les leaders rebelles prétendent que leur but n’est pas d’annexer le Kivu mais simplement de garantir la sécurité de leurs frontières. Pourtant, ce qui me paraît étrange, c’est que durant tout mon mandat de gouverneur, j’ai vu des troupes rwandaises au Kivu qui n’ont jamais réussi à assurer la sécurité. Cela me pousse à me demander si le Rwanda n’a pas d’autres objectifs non avoués, peut-être l’annexion.
En savoir plus sur CongoHeritage
Subscribe to get the latest posts sent to your email.