Le Mercenaire Belge Jean Schramme: La Prise de Bukavu
Jean Schramme : Le Mercenaire Belge et la Tentative de Conquête de l'Est du Congo en 1967.
- Jean Schramme : De Planteur à Mercenaire
- Les Motivations Derrière la Tentative de Conquête du Kivu
- Le Déroulement de la Tentative de Conquête
- La Réaction du Gouvernement de Mobutu
- Les Conséquences de l'Épisode Schramme
- Analyse des Motivations : Ambitions Personnelles ou Héritage Colonial ?
- Le Kivu : Un Joyau Géostratégique
- Conclusion
- Bibliographie
- Remerciements:
Jean Schramme : Le Mercenaire Belge et la Tentative de Conquête de l'Est du Congo en 1967
Résumé#
En 1967, l’Est du Congo est le théâtre d’une tentative audacieuse de prise de pouvoir orchestrée par Jean Schramme, un mercenaire belge. Cet épisode méconnu de l’histoire congolaise soulève de nombreuses questions sur les motivations coloniales persistantes, les ambitions personnelles et le rôle des puissances étrangères dans l’Afrique post-coloniale. Cet article explore en profondeur les événements entourant la tentative de Schramme de conquérir le Kivu, une région stratégique du Congo, en analysant les contextes historiques et géopolitiques qui ont favorisé cette entreprise.
Introduction#
La période post-indépendance du Congo, renommé Zaïre sous Mobutu Sese Seko, est marquée par une instabilité politique et des conflits armés récurrents. Au cœur de ces turbulences, l’année 1967 voit émerger une figure intrigante : Jean Schramme, un colon belge devenu mercenaire, qui tente de s’emparer de l’Est du Congo. Pourquoi un tel personnage entreprend-il une action aussi audacieuse ? Quelles étaient ses motivations réelles, et comment cet épisode a-t-il influencé l’histoire du Congo et de la région des Grands Lacs ?
Contexte Historique : Le Congo après l’Indépendance#
Après son indépendance en 1960, le Congo plonge dans le chaos. L’assassinat de Patrice Lumumba, les sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï, ainsi que les rivalités politiques internes affaiblissent le jeune État. Mobutu Sese Seko, après le coup d’État en 1965, cherche à stabiliser le pays et à consolider son pouvoir, mais les tensions restent vives, notamment avec les anciens colons belges et les mercenaires qui avaient soutenu différentes factions durant les conflits précédents.
Jean Schramme : De Planteur à Mercenaire#
Un Colon Attaché au Congo#
Né le 25 mars 1929 à Bruges, en Belgique, Jean Schramme s’installe au Congo belge où il devient planteur dans la région du Kivu. Il développe un profond attachement pour cette terre, qu’il considère comme sa véritable patrie. Après l’indépendance, face à l’incertitude politique et aux violences, Schramme s’engage comme mercenaire pour protéger les intérêts des colons et lutter contre les mouvements qu’il perçoit comme des menaces.
Participation aux Conflits Antérieurs#
Schramme joue un rôle actif lors de la sécession du Katanga (1960-1963) sous la direction de Moïse Tshombe. En tant que commandant de mercenaires, il acquiert une réputation de combattant efficace mais controversé. Son implication dans ces conflits le place au centre des tensions entre les nouvelles autorités congolaises et les intérêts étrangers.
Les Motivations Derrière la Tentative de Conquête du Kivu#
Nostalgie Coloniale et Désirs d’Enclave Blanche#
Certains historiens avancent que Schramme, comme d’autres Belges nés au Congo, nourrit le rêve de maintenir une présence blanche en Afrique centrale, à l’instar des populations européennes en Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe) et en Afrique du Sud. Le Kivu offre un cadre idéal pour ce projet : un climat de montagne, des paysages montagneux rappelant l’Europe, sol volcanique, des lacs majestueux et une biodiversité exceptionnelle (Kahuzi Biega, Virunga, etc.).
Le Kivu : Une Région Stratégique#
Le Kivu est la seule province congolaise à partager ses frontières avec cinq pays : la Zambie (via le lac Tanganyika), la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Cette position géographique en fait un carrefour stratégique pour le commerce et les mouvements militaires. De plus, la richesse naturelle de la région, avec ses ressources minières, ses parcs nationaux et son potentiel agricole, en fait une cible de choix pour quiconque souhaite établir une base d’influence en Afrique centrale.
Le Déroulement de la Tentative de Conquête#
Les Attaques du 5 Juillet 1967#
Au matin du 5 juillet 1967, Jean Schramme lance des attaques coordonnées sur plusieurs villes de l’Est du Congo, notamment Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), Kindu et Bukavu. À la tête d’une force composée de mercenaires européens et de soldats katangais, il espère s’emparer de ces points stratégiques pour établir une enclave autonome.
La Prise de Bukavu#
Après l’échec à Stanleyville, Schramme et ses troupes se replient vers le sud et réussissent à conquérir la ville frontalière de Bukavu le 10 août 1967. Leur nombre s’accroît alors, renforçant leur position. Bukavu, surnommée la « Suisse du Congo » pour ses montagnes, ses lacs et son climat agréable, devient le bastion de Schramme. Il y tient tête à l’Armée Nationale Congolaise (ANC) pendant sept semaines, repoussant plusieurs offensives.
Les Difficultés Logistiques et l’Isolement#
Malgré leurs succès initiaux, les forces de Schramme sont confrontées à de graves problèmes logistiques. Le manque de munitions et l’absence de soutien international fragilisent leur position. De son côté, l’ANC souffre également de pénuries, mais bénéficie de renforts, notamment de la 2e Brigade Parachutiste.
La Réaction du Gouvernement de Mobutu#
Une Menace à la Souveraineté Nationale#
Mobutu Sese Seko perçoit la rébellion de Schramme comme une atteinte directe à la souveraineté du Congo. Il mobilise des ressources importantes pour écraser la rébellion et réaffirmer son autorité. Plus tard, dans un discours prononcé à l’ONU, il dénonce avec vigueur cette tentative : « À l’Est du Zaire, dans la ville de Bukavu; un Blanc venu d’Europe a tenté de reconquérir mon pays et s’est déclaré président de la République ; si un Africain avait fait de même en Europe, on l’aurait pris pour un humoriste de mauvais goût ou un détraqué mental. »
L’Écrasement de la Rébellion#
Le 29 octobre 1967, les troupes gouvernementales lancent une offensive décisive. Face à la supériorité numérique et matérielle de l’ANC, les forces de Schramme sont défaites. Les survivants, y compris Schramme, se réfugient au Rwanda, où ils sont désarmés et internés par les autorités locales avant d’être rapatriés en Europe.
Les Conséquences de l’Épisode Schramme#
Renforcement du Pouvoir de Mobutu#
La défaite de Schramme permet à Mobutu de renforcer son emprise sur le pays. Il utilise cet événement pour justifier des mesures autoritaires visant à éliminer toute opposition et à centraliser le pouvoir.
Impact sur les Relations Internationales#
L’implication de mercenaires européens dans la tentative de conquête soulève des critiques internationales. Bien que l’implication directe de la Belgique ne soit pas clairement établie, des suspicions persistent quant au soutien tacite de certaines factions étrangères.
Perception des Mercenaires en Afrique#
L’épisode contribue à la stigmatisation des mercenaires en Afrique, perçus comme des agents déstabilisateurs au service d’intérêts néocoloniaux. Il mène à une prise de conscience accrue de la nécessité pour les jeunes États africains de contrôler leurs frontières et de sécuriser leur souveraineté.
Analyse des Motivations : Ambitions Personnelles ou Héritage Colonial ?#
Ambiguïtés et Controverses#
Les motivations de Jean Schramme restent sujettes à débat. Était-il guidé par une nostalgie coloniale, cherchant à préserver un mode de vie révolu, ou par des ambitions personnelles de pouvoir et de richesse ? Les témoignages et les sources historiques offrent des perspectives variées, rendant l’analyse complexe.
Le Rôle des Colons Belges au Congo#
L’attachement profond de certains colons belges au Congo, où ils étaient nés et avaient construit leur vie, a engendré des sentiments de perte et de désorientation après l’indépendance. Ces sentiments ont pu alimenter des initiatives comme celle de Schramme, visant à recréer une forme de continuité dans un contexte de changement radical.
Le Kivu : Un Joyau Géostratégique#
Richesses Naturelles et Diversité Culturelle#
Le Kivu est une région d’une beauté exceptionnelle, avec des parcs nationaux abritant des espèces rares, comme les gorilles de montagne. Sa diversité culturelle et ethnique en fait une mosaïque complexe, mais aussi un lieu de tensions potentielles.
Enjeux Actuels#
Aujourd’hui encore, le Kivu est au cœur de nombreux enjeux géopolitiques, économiques et humanitaires. Les conflits persistants, liés notamment à l’exploitation des ressources minières, font écho aux problématiques historiques de la région. Aujourd’hui quand on parle de la « Balkanisation » du Congo, c’est cette partie du Congo qui est visée.
Conclusion#
L’épisode de la tentative de conquête du Kivu par Jean Schramme en 1967 est révélateur des défis de la décolonisation et des tensions inhérentes à la construction des États africains post-coloniaux. Il illustre comment les ambitions personnelles, les héritages coloniaux et les rivalités internationales peuvent converger pour engendrer des conflits aux conséquences durables.
Cet événement souligne également l’importance de comprendre les dynamiques locales et régionales pour appréhender pleinement l’histoire complexe du Congo. En examinant les motivations et les actions de figures comme Schramme, les historiens peuvent mieux saisir les défis auxquels le Congo et ses voisins continuent de faire face.
Bibliographie#
- De Witte, Ludo. L’Assassinat de Lumumba. Éditions Karthala, 2000.
- Hochschild, Adam. Les Fantômes du roi Léopold. Belfond, 1998.
- Vanthemsche, Guy. La Belgique et le Congo : Empreintes d’une colonie 1885-1980. Éditions Complexe, 2007.
- Edgerton, Robert B. The Troubled Heart of Africa: A History of the Congo. St. Martin’s Press, 2002.
- Eriksson Baaz, Maria & Stern, Maria. The Complexity of Violence: A Critical Analysis of Sexual Violence in the Democratic Republic of Congo (DRC). Nordic Africa Institute, 2010.
Remerciements:#
CongoHritage tient à remercier les chercheurs et historiens congolais dont les travaux ont grandement enrichi cette étude, ainsi que les archives nationales du Congo pour l’accès aux documents historiques.
En savoir plus sur CongoHeritage
Subscribe to get the latest posts sent to your email.