Mettre un terme à la guerre dans l’Est de la RDC : vers un processus de paix vraiment inclusif
Pourquoi l’implication de tous les acteurs régionaux – y compris l’Ouganda et le Burundi – est cruciale pour sortir du cycle infernal
Depuis plus de trois décennies, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre d’une guerre complexe, nourrie par des rivalités ethniques, des tensions transfrontalières et l’avidité pour les ressources naturelles.
Du Nord Kivu au Sud Kivu, des territoires entiers restent fragilisés par la présence de dizaines de groupes armés, parmi lesquels le M23, l’ADF, les FDLR, et tant d’autres qui se disputent le contrôle économique et politique de régions stratégiques. Comment mettre fin à ce conflit qui fait rage, malgré de multiples initiatives régionales et internationales ?
Les récentes péripéties diplomatiques ont mis en lumière une réalité de plus en plus évidente : un accord de paix ne peut aboutir sans l’implication de tous les acteurs régionaux directement concernés, à commencer par la RDC, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.
Les deux processus de paix : pourquoi un échec annoncé ?
À première vue, les initiatives engagées pour pacifier l’est de la RDC ne manquent pas. Deux cadres de négociation se sont notamment imposés ces derniers mois : le processus de Luanda, sous la médiation du président angolais João Lourenço, et le processus de Nairobi, dirigé par l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta.
1. Le processus de Luanda
Il vise surtout à améliorer les relations entre la RDC et le Rwanda. L’idée maîtresse est que le Rwanda retire ses troupes (officiellement non reconnues) stationnées sur le sol congolais, tandis que la RDC s’engage à désarmer et neutraliser les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), ex-rebelles majoritairement hutus, accusés d’avoir participé au génocide de 1994 et qui se replient depuis des années dans l’est de la RDC. L’objectif est ainsi de couper court aux arguments brandis par Kigali pour justifier son intervention sur le territoire congolais.
2. Le processus de Nairobi
Ce cadre s’intéresse plutôt aux groupes armés opérant dans l’est de la RDC. Selon diverses estimations, on en compte plus d’une centaine, qu’il s’agisse de milices locales ou de factions rebelles à l’agenda régional. Le M23, l’un des groupes les plus actifs, a toutefois rejeté ce processus, refusant d’être catalogué comme une « milice » et se présentant comme un « mouvement révolutionnaire ».
Le M23 exige un dialogue direct avec Kinshasa, mais le président Félix Tshisekedi a clairement fait savoir qu’il ne négocierait pas avec des rebelles qu’il considère comme un « cheval de Troie » rwandais. Les précédents accords, estime-t-il, n’ont servi qu’à renforcer l’influence de Kigali et à piller davantage les ressources minières du Congo.
Or, malgré la pertinence de ces deux pistes de négociation, de nombreux analystes observent qu’il manque à la table des pourparlers deux acteurs majeurs : l’Ouganda et le Burundi. Dans les faits, leur présence militaire en RDC, de même que leurs intérêts stratégiques, sont trop importants pour être ignorés.
Quand l’est de la RDC devient le champ de bataille de ses voisins
L’implication de l’Ouganda
L’armée ougandaise (UPDF) mène officiellement des opérations conjointes avec les Forces armées de la RDC (FARDC) pour traquer et neutraliser les rebelles de l’ADF (Allied Democratic Forces), un groupe jihadiste ougandais actif dans le Nord-Kivu et l’Ituri.
Or, selon plusieurs rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC et d’autres observateurs, l’Ouganda est parfois soupçonné de soutenir certains segments du M23. Il existerait même deux factions à l’intérieur du M23, l’une sous influence rwandaise, l’autre proche de Kampala.
Les soupçons s’expliquent par une histoire tumultueuse : l’Ouganda et le Rwanda ont déjà livré des batailles rangées sur le sol congolais à la fin des années 1990 et au début des années 2000, notamment pour le contrôle des richesses minières (coltan, or, cassitérite, etc.).
Les visées du Burundi
Le Burundi, de son côté, possède également des troupes en RDC. Officiellement, il soutient Kinshasa et combat le M23 aux côtés des FARDC. Mais sa présence est également motivée par la nécessité de lutter contre les groupes burundais insurgés opérant depuis le territoire congolais.
Le problème, c’est que les relations entre le président burundais, Évariste Ndayishimiye, et Paul Kagame (Rwanda) sont exécrables. Les deux se méfient l’un de l’autre et s’accusent mutuellement de déstabiliser leur régime respectif. Résultat : le sol congolais se transforme en un champ de confrontation indirecte entre Bujumbura et Kigali.
Les rancœurs persistantes : l’explosion de la confiance
Si l’implication de l’Ouganda et du Burundi est un secret de Polichinelle, leur absence dans les négociations officielles est absurde. Les dynamiques locales à l’est de la RDC se retrouvent ainsi entremêlées de rivalités inter-étatiques qui remontent parfois aux années 1970–80.
La question linguistique ajoute un niveau supplémentaire de complexité. Le président Tshisekedi s’exprime principalement en français, lingala et tshiluba, tandis que Paul Kagame parle l’anglais, le kinyarwanda, le kiganda et le swahili ; Yoweri Museveni (Ouganda) manie l’anglais, le kiganda et le swahili ; enfin, Évariste Ndayishimiye (Burundi) maîtrise le français, le kirundi, le kinyarwanda et le swahili.
Dans ces conditions, l’absence de langue commune pour Tshisekedi peut créer une barrière favorisant la méfiance. C’est pourquoi la présence de Ndayishimiye s’avère cruciale : pouvant échanger aussi bien avec Kagame qu’avec Tshisekedi sans entrave linguistique, il joue un rôle d’intermédiaire essentiel. Il faut noter que, parmi ces dirigeants, trois parlent le swahili, à l’exception de Tshisekedi, renforçant d’autant plus l’importance d’un facilitateur partageant plusieurs langues.
La question des ressources naturelles : le nerf de la guerre
Au-delà des sécurités frontalières, la guerre à l’est de la RDC est largement alimentée par l’exploitation illégale des richesses du sous-sol congolais. Le pays regorge de minerais stratégiques, dont le coltan, la cassitérite, le cuivre, ou encore le cobalt, indispensables à la fabrication de nos smartphones, ordinateurs et batteries électriques.
Diverses études — par exemple de Global Witness ou d’Amnesty International — soulignent que le Rwanda est devenu l’un des premiers exportateurs mondiaux de coltan, alors qu’il ne dispose pas de mines conséquentes sur son territoire. Les soupçons d’une exploitation à grande échelle des ressources congolaises par Kigali sont donc tenaces, et viennent nourrir les tensions politiques, voire militaires.
Quelles pistes pour une paix durable ?
- Inclure tous les acteurs pertinents à la table des négociations
Rien ne sert de multiplier les accords si l’on exclut des protagonistes majeurs qui ont des troupes sur le terrain. Le Burundi et l’Ouganda doivent être formellement intégrés au processus de Luanda et de Nairobi. Selon le Crisis Group, sans une approche globale, les efforts actuels risquent de n’aboutir qu’à des trêves temporaires, vite remises en cause. - Établir des garanties de confiance
Les rivalités historiques sont un sérieux frein à la paix. La communauté internationale — Union africaine, Nations unies, Union européenne, et même les grandes puissances — doit poser un cadre transparent, garantissant que les accords ne servent pas à saper la souveraineté congolaise. Des observateurs indépendants pourraient vérifier in situ le retrait des troupes étrangères (rwandaises, burundaises, ougandaises) et le désarmement effectif des groupes rebelles. - Renforcer l’État congolais
Toute paix durable repose sur la capacité de la RDC à exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire. Cela implique une refonte des forces armées congolaises (FARDC) – souvent infiltrées et affaiblies – ainsi qu’un développement économique et social soutenu. Les populations locales, trop souvent abandonnées, doivent bénéficier d’infrastructures et d’une protection réelle. Sans cela, des zones grises continueront à alimenter l’instabilité. - Sanctionner l’exploitation illicite des ressources
Les gains faramineux tirés de la contrebande de minerais sont un moteur majeur du conflit. Des sanctions ciblées, combinées à une traçabilité plus stricte des minerais sur les marchés internationaux, sont cruciales pour tarir les sources de financement des groupes armés et décourager les interventions étrangères.
Les initiatives telles que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et le Processus de Kimberley pour les diamants pourraient être renforcées et élargies à d’autres minerais comme le coltan et la cassitérite. - Promouvoir la justice et la réconciliation
On ne peut pas bâtir la paix en faisant fi des crimes passés. Les commissions vérité et réconciliation, associées à des tribunaux régionaux ou internationaux, devraient être envisagées pour juger les crimes les plus graves. Les guerres successives ont laissé dans leur sillage des massacres, des viols de masse, des déplacements de populations. Tels que l’attestent les mémoires des victimes et les rapports de Human Rights Watch, la réconciliation réelle passe par la vérité et la justice.
Réflexions finales
Le drame congolais ne relève pas d’une fatalité : il est le produit de stratégies géopolitiques, de calculs économiques, de défaillances étatiques et de méfiances réciproques. Les assassinats de leaders tels que Patrice Lumumba, Melchior Ndadaye, Juvénal Habyarimana, Cyprien Ntaryamira ou encore Laurent-Désiré Kabila ont illustré, au fil du temps, l’extrême violence politique qui gangrène la région. Ce cycle meurtrier n’a que trop duré.
Pour sortir de l’impasse, il faudra donc adopter un schéma radicalement inclusif, où la RDC, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi s’asseyent autour de la même table, sous le regard attentif et impartial de médiateurs africains et internationaux. Si les principaux protagonistes daignent s’accorder sur un cessez-le-feu général, un retrait vérifiable des troupes étrangères et un mécanisme crédible de sécurisation et de partage des ressources, les peuples de la région des Grands Lacs pourront enfin espérer tourner la page.
L’histoire retiendra que, face à l’une des crises humanitaires les plus longues du continent africain, la communauté internationale aura encore le choix d’agir concrètement — ou de détourner le regard, laissant les mêmes schémas de prédation et de défiance se perpétuer. Or, ni Kigali, ni Kampala, ni Bujumbura, ni Kinshasa ne peuvent véritablement gagner, tant que le sang continue de couler à l’est du Congo.
Références pour aller plus loin :
- Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC
- Africa Center for Strategic Studies
- Crisis Group – République démocratique du Congo
- Global Witness
- Human Rights Watch – RD Congo
En définitive, le chemin vers la paix en RDC n’est pas une simple question de diplomatie ou de commissions mixtes. C’est l’avenir même d’une région meurtrie, où des millions de personnes continuent de vivre dans l’instabilité et la peur, faute d’un accord courageux et véritablement inclusif. L’heure est venue de mettre fin à l’instrumentalisation de la souffrance congolaise et d’œuvrer enfin à la réconciliation, la reconstruction et la prospérité partagée.
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